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28 mars 2014 5 28 /03 /mars /2014 00:01
La barre de fraction de la foi

 

Homélie du 4° dimanche de Carême / Année A
30/03/2014

 

Le père fondateur de la linguistique, Ferdinand de Saussure, a posé une distinction fondamentale qui pourrait bien nourrir l'interprétation de notre évangile de l’aveugle-né .

Signifie-signifiant.jpgIl distingue le signifiant (S) du signifié (s).

Le signifiant, c'est la chose physique, par exemple une pierre en anthropologie, ou un son humain en linguistique. Le signifié, c'est la signification que nous lui attachons : une tombe pour la pierre lorsqu'il s'agit de cultes funéraires anciens, un mot pour un son humain. Cette signification dépend du contexte, de la culture, de l'histoire de celui qui perçoit le signe. Par exemple, un espagnol entendra le signifié oui là où un anglais entendra la mer (sea) à travers le son si. Le génie de Ferdinand de Saussure a été de placer une barre de fraction entre le signifiant et le signifié pour évoquer le travail que fait le langage humain. Le signe du langage est constitué du rapport s/S. C'est le propre de l'humain, dans le langage, d'associer un signifié à un signifiant.

« Nous n'évoluons pas dans un monde de signifiants purs, sinon nous serions des pierres, des blocs de granit par exemple. Nous ne sommes pas non plus dans un monde de signifiés purs, sinon nous serions des abstractions sans chair, des vérités mathématiques par exemple. Non, nous circulons, nous nous mouvons précisément entre signifiant et signifié. C'est pourquoi la barre de la fraction s/S mérite d'être considérée comme le lieu électif de la conscience humaine. »
Philosophie Magazine n° 72, mars 2014, page 37.

 

Or que se passe-t-il dans l'évangile de l’aveugle-né ?

On peut repérer 5 attitudes en réaction à cette guérison étonnante.
Examinons comment un même évènement peut donner lieu à autant d'interprétations, à autant de rapports s/S différents.

 

 

1. Nier l'évidence

Des juifs ne veulent pas reconnaître les faits, ils s'obstinent à nier l'évidence. Car ils ont peur des conclusions inévitables auxquels ils seraient entraînés : si cette ancien aveugle voit, c'est que Jésus agit au nom de Dieu, dont il est donc l'envoyé (= Siloé). Mieux vaut noyer le poisson en essayant de susciter des témoignages contradictoires.

 

Cela rappelle l'aveuglement volontaire des communistes français devant le goulag et la misère soviétique : bilan « globalement positif » osait dire Georges Marchais en revenant d'URSS…

 

 

2. Travestir le réel

Des voisins eux aussi veulent nier le signifiant, en suggérant que ce n'est pas lui, mais quelqu'un qui lui ressemble qui a été guéri.

 

Cela rappelle l’étrange position du Coran au sujet de la crucifixion de Jésus : ce ne serait pas lui, mais quelqu'un qui lui ressemble qui aurait été crucifié, car un prophète ne peut pas terminer aussi lamentablement, abandonné de Dieu…

 

 

2. S’en laver les mains

Les parents de l’aveugle-né quant à eux butent sur la menace de persécution à laquelle ils s'exposeraient s’ils posaient la barre de fraction entre la guérison de leur fils et l'identité de Jésus. Ils préfèrent ne pas voir, s'aveugler eux-mêmes sur la réalité de ce qui s'est passé, en se défaussant sur la responsabilité adulte de leur enfant (« il est assez grand, interrogez-le ! »).

Ils se lavent les mains de l'action où leur fils s'est lavé les yeux...

 

Cela rappelle l’indifférence actuelle de tant d’européens au sujet de l’existence de Dieu ou de la vie après la mort. Question inintéressante, répondent-ils en substance : seule compte à nos yeux nos conditions de vie actuelle qu’il faut améliorer.

 

 

3. Le conflit des interprétations

Certains pharisiens, quant à eux, acceptent le signifiant, contraints et forcés : cet homme voit, c'est certain. Ils essaient bien de mettre en doute la réalité de ce signifiant, en prétendant que peut-être cet homme faisait semblant – avant - d'être aveugle pour mendier, ou qu'il n'est pas né comme cela etc. Mais les faits sont têtus et très vite ils sont obligés de se prononcer sur la fameuse barre de fraction à poser entre s et S.

Que veut dire cette guérison ? Lui attribuer une origine divine entre en conflit avec un autre signifiant : le jour du sabbat. Dans le conflit des interprétations qui surgit de là, ces pharisiens choisissent l'une au détriment de l'autre, au lieu de les intégrer toutes deux dans une interprétation plus haute (« le Fils de l'homme est maître du sabbat »). Ce faisant, ils se privent de connaître vraiment l'identité de Jésus : « nous ne savons pas d'où il est ».

 

Cela rappelle les étranges justifications de l'apartheid par certaines Églises d'Afrique du Sud, ou de l'esclavage par certaines Églises américaines au XIX° siècle. Elles s’appuyaient sur une lecture littérale de certains passages de l’Ancien Testament pour justifier leur domination coloniale, contre d’autres passages du Nouveau Testament manifestement en faveur de l’égalité de tous…

 

 

4. L’interrogation ouverte

D'autres pharisiens sont plus respectueux des faits, et posent d’autres barres de fraction sur ce qui s'est passé. « Comment un homme pécheur pourrait y accomplir des signes pareils ? » Ils devinent que le signe posé renvoie à une identité inconcevable et pourtant manifeste : Jésus se révèle Dieu-en-action lorsque avec de la boue et de la salive il recrée cette aveugle-né pour une vie nouvelle.

Respectueux du réel, ils ont la droiture de rester interrogatifs, en attente.

 

Cela rappelle l'agnosticisme respectueux et ouvert de tant de philosophes d'hier et d'aujourd'hui. Leur questionnement, même et surtout sans réponse, est essentiel à la purification de la foi des chrétiens.

 

 

 

5. Le cheminement de l'interprétation

Le principal intéressé se rend à l'évidence (S) : il était aveugle, maintenant il voit. Au début il n’arrive pas attribuer de signification à cette observation des faits (S). Ce n'est que progressivement, dans son dialogue avec Jésus et avec les autres, qu’il  est conduit à reconnaître l'action d'abord d'un maître qui a des disciples, puis d'un prophète, qui vient de Dieu, puis du Fils de l'homme, qu'il appelle finalement Seigneur (s).

 

C'est l'illumination progressive des catéchumènes qui découvrent dans l'initiation chrétienne qui est vraiment le Christ pour eux. C'est notre propre cheminement, lorsque, d'événement en événement, nous découvrons quelle est « la largeur, la  hauteur, la profondeur de l'amour du Christ pour nous ».

 

6. La barre de fraction

Ces 5 attitudes sont toujours les nôtres face aux signes qui jalonnent notre existence. Nous butons sur des faits (S) ; ils s'imposent à nous, et nous cherchons le coup de barre qui mettrait notre navire sur une route nous permettant d'intégrer ces événements dans un signifié plus large (s/S).

La foi chrétienne relève de cet art du pilotage qui consiste à placer la barre de fraction de telle manière que le rapport s/S soit pleinement humanisant.

La foi est un langage qui décrypte l'histoire et l'univers dans un dialogue avec Dieu / avec les autres, où ce qui arrive est mis en relation avec ce que cela signifie, de manière à progresser vers une conscience plus humaine, plus divine.

 

S peut prendre la figure d'une grande joie, ou d'une grande épreuve ; s n'existe pas indépendamment du rapport qu'il entretient avec S, et c’est un sacré travail de déchiffrement, de discernement spirituel que de poser la barre de fraction de manière juste, ajustée au réel.

 

Les tenants du signifié pur sont de dangereux idéologues.

Les absolutistes du signifiant seul sont de redoutables matérialistes.

La foi chrétienne pose entre les deux la barre de fraction de l'interprétation (c'est-à-dire de l'herméneutique).

 

En suivant l'itinéraire intérieur de l'aveugle-né réfléchissant et dialoguant sur ce qui est arrivé, chacun de nous est invité à découvrir la (les) signification(s) des événements de sa propre existence.

De quoi nourrir une retraite intime de carême...

 

 

[1]. cf. son ouvrage principal : Cours de linguistique générale, 1916.

 

 

1ère lecture : Dieu choisit David comme roi de son peuple (1S 16, 1b.6-7.10-13a)

Lecture du premier livre de Samuel

Le Seigneur dit à Samuel : « J'ai rejeté Saül. Il ne règnera plus sur Isaraël. Je t'envoie chez Jessé de Bethléem, car j'ai découvert un roi parmi ses fils. Prends une corne que tu rempliras d'huile, et pars ! »
En arrivant, Samuel aperçut Éliab, un des fils de Jessé, et il se dit : « Sûrement, c'est celui que le Seigneur a en vue pour lui donner l'onction ! »
Mais le Seigneur dit à Samuel : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l'ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l'apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. »
Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils, et Samuel lui dit : « Le Seigneur n'a choisi aucun de ceux-là. N'as-tu pas d'autres garçons ? » 
Jessé répondit : « Il reste encore le plus jeune, il est en train de garder le troupeau. » 
Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher : nous ne nous mettrons pas à table tant qu'il ne sera pas arrivé. »
Jessé l'envoya chercher : le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau. 
Le Seigneur dit alors : « C'est lui ! donne-lui l'onction. »
Samuel prit la corne pleine d'huile, et lui donna l'onction au milieu de ses frères. L'esprit du Seigneur s'empara de David à partir de ce jour-là.

 

Psaume : Ps 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6

R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer.

Le Seigneur est mon berger : 
je ne manque de rien. 
Sur des prés d'herbe fraîche, 
il me fait reposer. 

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ; 
il me conduit par le juste chemin 
pour l'honneur de son nom. 

Si je traverse les ravins de la mort, 
je ne crains aucun mal, 
car tu es avec moi : 
ton bâton me guide et me rassure. 

Tu prépares la table pour moi 
devant mes ennemis ; 
tu répands le parfum sur ma tête, 
ma coupe est débordante. 

Grâce et bonheur m'accompagnent 
tous les jours de ma vie ; 
j'habiterai la maison du Seigneur 
pour la durée de mes jours.

 

2ème lecture : Vivre dans la lumière (Ep 5, 8-14)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtres aux Éphésiens

Frères,
autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ; vivez comme des fils de la lumière — or la lumière produit tout ce qui est bonté, justice et vérité — et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur.
Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt.
Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte d'en parler.
Mais quand ces choses-là sont démasquées, leur réalité apparaît grâce à la lumière, et tout ce qui apparaît ainsi devient lumière. C'est pourquoi l'on chante : 
Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera.

 

Evangile : L'aveugle-né (Jn 9, 1-41 [Lecture brève : 9, 1.6-9.13-17.34-38])

Acclamation : Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. Lumière du monde, Jésus Christ, celui qui marche à ta suite aura la lumière de la vie. Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. (cf. Jn 8, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 

En sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme qui était aveugle de naissance.
Ses disciples l'interrogèrent : « Rabbi, pourquoi cet homme est-il né aveugle ? Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? »
Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents. Mais l'action de Dieu devait se manifester en lui.
Il nous faut réaliser l'action de celui qui m'a envoyé, pendant qu'il fait encore jour ; déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »
Cela dit, il cracha sur le sol et, avec la salive, il fit de la boue qu'il appliqua sur les yeux de l'aveugle, et il lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » (ce nom signifie : Envoyé). L'aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.

Ses voisins, et ceux qui étaient habitués à le rencontrer — car il était mendiant — dirent alors : « N'est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
Les uns disaient : « C'est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c'est quelqu'un qui lui ressemble. » Mais lui affirmait : « C'est bien moi. »
Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-il ouverts ? »
Il répondit : « L'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, il m'en a frotté les yeux et il m'a dit : 'Va te laver à la piscine de Siloé.' J'y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j'ai vu. »
Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »

On amène aux pharisiens cet homme qui avait été aveugle.
Or, c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
À leur tour, les pharisiens lui demandèrent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répondit : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et maintenant je vois. »
Certains pharisiens disaient : « Celui-là ne vient pas de Dieu, puisqu'il n'observe pas le repos du sabbat. » D'autres répliquaient : « Comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés.
Alors ils s'adressent de nouveau à l'aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu'il t'a ouvert les yeux ? » Il dit : « C'est un prophète. »
Les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme, qui maintenant voyait, avait été aveugle. C'est pourquoi ils convoquèrent ses parents
et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu'il est né aveugle ? Comment se fait-il qu'il voie maintenant ? »
Les parents répondirent : « Nous savons que c'est bien notre fils, et qu'il est né aveugle.
Mais comment peut-il voir à présent, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s'expliquer. »
Ses parents parlaient ainsi parce qu'ils avaient peur des Juifs. En effet, les Juifs s'étaient déjà mis d'accord pour exclure de la synagogue tous ceux qui déclareraient que Jésus est le Messie.
Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n'en sais rien ; mais il y a une chose que je sais : j'étais aveugle, et maintenant je vois. »
Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t'ouvrir les yeux ? »
Il leur répondit : « Je vous l'ai déjà dit, et vous n'avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m'entendre encore une fois ? Serait-ce que vous aussi vous voulez devenir ses disciples ? »
Ils se mirent à l'injurier : « C'est toi qui es son disciple ; nous, c'est de Moïse que nous sommes les disciples. Moïse, nous savons que Dieu lui a parlé ; quant à celui-là, nous ne savons pas d'où il est. »
L'homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d'où il est, et pourtant il m'a ouvert les yeux. Comme chacun sait, Dieu n'exauce pas les pécheurs, mais si quelqu'un l'honore et fait sa volonté, il l'exauce. Jamais encore on n'avait entendu dire qu'un homme ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Ils répliquèrent : « Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.

Jésus apprit qu'ils l'avaient expulsé. Alors il vint le trouver et lui dit : « Crois-tu au Fils de l'homme ? »
Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit : « Tu le vois, et c'est lui qui te parle. »
Il dit : « Je crois, Seigneur ! », et il se prosterna devant lui.
Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Des pharisiens qui se trouvaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? »
Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : 'Nous voyons !' votre péché demeure. »
Patrick Braud

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Published by L'homélie du dimanche
21 mars 2014 5 21 /03 /mars /2014 00:01

 

Homélie du 3° Dimanche de Carême / Année A
23/03/2014

 

 

Opération vérité

« Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait »...

Cet appel étonné et joyeux de la femme de Samarie croisée au bord du puits n'en finit pas de résonner dans l'Église, encore aujourd'hui !

Pourquoi est-ce si libérateur de rencontrer quelqu'un qui nous aide ainsi à faire la vérité sur notre vie ? Car ce n'est pas joli joli ce qu'elle a fait cette brave Samaritaine ! Elle a consommé les hommes comment on consomme des tranquillisants, et elle en est rendue à son cinquième ! Quand elle avoue à Jésus : ‘je n'ai pas de mari’, elle sait bien que son compagnon du moment ne peut pas être appelé ‘mari’, et Jésus le reconnaît : ‘là tu dis vrai’. Tu commences à dire la vérité sur tes échecs, tes répétitions, ta collection d'amants.


Jésus avait fait appel à son mari pour échapper à la tentative ambiguë et séductrice de cette femme seule avec lui - situation très osée en Israël - en pleine chaleur. Du coup elle comprend qu'avec Jésus ce petit jeu ne marchera pas, et elle s'intéresse enfin à la source de vie qui semble jaillir de cet homme.

« De son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7,38). La Samaritaine en fait l'expérience. Comment ? En faisant la vérité sur sa vie, grâce au Christ qui l’éclaire dans les méandres de ses bégaiements affectifs dignes d'un Don Juan au féminin.

 

Et vous - au fait - où en êtes-vous de cette ‘opération vérité’ sur vous-même ?

 

 

Leurre, y es-tu ? 

 

Prenons une comparaison.

Vous souvenez-vous de ce qu’est un leurre ?

C'est quelque chose qui ressemble à ce que l'on cherche, qui en a la forme, la couleur, parfois le goût, mais qui n'est pas ce que l'on cherche en vérité. Le ‘Canada dry’ du désir en quelque sorte... Le problème avec un leurre, c'est que quand on l’a mangé, quand on a mis la main dessus on n'est pas rassasié pour autant. Au contraire la frustration de voir s'évanouir entre nos mains l'illusion qui ressemblait à l'objet cherché nous fait repartir à la chasse d'autres leurres, tout aussi décevants etc. Ainsi, de leurre en leurre, de répétition en répétitions, notre liberté devient piégée dans cette course au mensonge.


La Samaritaine collectionnait les hommes comme certains collectionnent les réussites sociales, l'argent ou la reconnaissance des autres. Ce faisant elle se leurrait elle-même ; elle n'arrivait pas à être vraie dans son désir ; elle bégayait ses pauvres amours ; elle se mentait à elle-même.

 

Jésus va si j'ose dire pratiquer la ‘pêche aux leurres’ pour l'aider à sortir de ce cycle infernal.

Il la fera passer :

- du puits de Jacob à la source jaillissante
- de Joseph à Jésus
- de la soif matérielle à la soif spirituelle
- du baptême de Jean au baptême des disciples de Jésus
- de l'adoration en Samarie à Jérusalem à l'adoration
« en esprit et en vérité »
- de la nourriture des apôtres à la vraie nourriture : « faire la volonté de mon Père »
- de ses cinq amants à elle au Messie qui la rend libre de ne plus dévorer les hommes...

 

L’heure du leurre

Un indice de cette libération : l’heure à laquelle se passe cette chasse au leurre.« C’était la 6° heure » précise notre texte (c’est-à-dire midi pour nous). Or 6 est le chiffre de l’incomplétude des 6 jours de la semaine attendant le shabbat pour une Création achevée. Et midi est l’heure où le soleil est à la verticale, donc où il n’y a plus d’ombre : la rencontre de Jésus permet à la Samaritaine de reconnaître son incomplétude, d’assumer la part d’ombre de sa vie, et d’être enfin elle-même sans avoir à se dissimuler…

 

Et vous qu'elles sont les leurres qui vous fascinent ?

Quelles sont les répétitions maladives qui piègent votre liberté ?

 

« Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait »...

Dieu que c'est libérant de rencontrer ainsi le Christ, et de faire ainsi la vérité sur sa vie !

 


Tant va la cruche à leurre…

Un autre indice dans le texte de cette libération, c'est la fameuse cruche. Symbole de ce qu'elle laisse là, au bord du puits, parce qu'elle n'en a plus besoin.

Grâce au Christ, elle n’a plus besoin de se mentir à elle-même, de courir après les hommes comme un poisson après un leurre...

 

La cruche dans l'Orient ancien est symbole de féminité. Elle est par essence celle qui reçoit, dont les formes mêmes sont féminines.

Cette femme de Samarie était très ‘cruche’ - pourrait-on dire ! - de croire que sa féminité s'épanouirait dans la répétition de la consommation des hommes. Elle laisse tomber cette vaine course aux leurres. Son vrai désir, elle le connaît maintenant : « donne-moi de l'eau vive »...

Elle n'est plus un objet, vase collecteur de fausses amours. Voilà pourquoi elle laisse sur place sa cruche, et avec elle sa vie passée à courir après des leurres. Elle renaît au désir d'être enfin elle-même ! C'est comme un baptême sans eau, car la source vive de sa renaissance est désormais en elle et non plus à l'extérieur ; elle est en elle, « en esprit et en vérité »...

 

Pour l'anecdote, la cruche peut aussi renvoyer à d'autres épisodes de la Bible. On peut voir dans cette femme la figure d'Israël : la cruche renvoie alors à l'épisode du serviteur qui va chercher une épouse pour Isaac (Gn 24), et les cinq maris renvoient à la Torah = les cinq livres de la Loi (les seuls reconnus par les Samaritains d'ailleurs) qui n'ont pu satisfaire Israël dans son désir d'épouser Dieu en vérité.

C'est aussi la cruche qui annonce le repas pascal dans l'Évangile : « suivez un homme qui porte une cruche, et là préparez le repas de la Pâque » (Lc 20,10 //). La Samaritaine portant une cruche est ainsi discrètement déjà associée à la Pâque de Jésus... 

 

Quoi qu'il en soit cette femme laisse là la cruche dont désormais elle n'a plus besoin, parce qu'elle a découvert le vrai désir qui l’habite.

« Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait »...

Ah ! si on pouvait ainsi s'exclamer ainsi au sortir d'une confession !

On ne serait pas loin de la Samaritaine... 

 

 

Tant va la cruche à leurre qu’à la fin elle annonce…

En revenant comme elle à la source vive de notre baptême, nous pourrions devenir comme elle apôtre. Et c’est même le premier apôtre dans l'Évangile de Jean, avant les 12 ! Oui : vous avez bien entendu : avant les 12 !!!

Saint Jean Chrysostome commente :

« Ce que firent les apôtres, la Samaritaine l’a fait aussi avec plus d'empressement encore. Car les apôtres n'ont planté là leurs filets qu’a l’appel du Maître, alors qu'elle a planté là sa cruche spontanément sans avoir reçu d'ordre du Christ.

Et la voilà qui remplit l'office des évangélistes avec une joie qui lui donne des ailes.

Ce n'est pas une ou deux personnes qu’elle amène au Christ comme André ou Philippe : c'est toute la ville qu'elle remue, toute la population qu'elle amène au Christ »

(34° homélie sur l'Évangile de Jean).



 

« Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait »...

C'est ce que nous faisons en nous approchant du Christ dans chaque eucharistie.

Qu'il nous débarrasse de tous les leurres après lesquels nous courons.

Qu'il nous aide à faire la vérité sur notre vie, et à revenir ainsi à la source jaillissante de notre baptême, « en esprit et en vérité ».

 

 

 

 

1ère lecture : Par Moïse, Dieu donne l'eau à son peuple (Ex 17, 3-7)

Lecture du livre de l'Exode

Les fils d'Israël campaient dans le désert à Rephidim, et le peuple avait soif. Ils récriminèrent contre Moïse : « Pourquoi nous as-tu fait monter d'Égypte ? Etait-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? »
Moïse cria vers le Seigneur : « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! »
Le Seigneur dit à Moïse : « Passe devant eux, emmène avec toi plusieurs des anciens d'Israël, prends le bâton avec lequel tu as frappé le Nil, et va ! Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l'eau, et le peuple boira ! » 
Et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d'Israël.

Il donna à ce lieu le nom de Massa (c'est-à-dire : Défi) et Mériba (c'est-à-dire : Accusation), parce que les fils d'Israël avaient accusé le Seigneur, et parce qu'ils l'avaient mis au défi, en disant : « Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n'y est-il pas ? »

 

Psaume : Ps 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

R/ Aujourd'hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur !

Venez, crions de joie pour le Seigneur, 
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu'à lui en rendant grâce, 
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, 
adorons le Seigneur qui nous a faits. 
Oui, il est notre Dieu ; 
nous sommes le peuple qu'il conduit.

Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert, 
où vos pères m'ont tenté et provoqué, 
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

2ème lecture : L'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs(Rm 5, 1-2.5-8)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères,
Dieu a fait de nous des justes par la foi ; nous sommes ainsi en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a donné, par la foi, l'accès au monde de la grâce dans lequel nous sommes établis ; et notre orgueil à nous, c'est d'espérer avoir part à la gloire de Dieu. Et l'espérance ne trompe pas, puisque l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné.

Alors que nous n'étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions. — Accepter de mourir pour un homme juste, c'est déjà difficile ; peut-être donnerait-on sa vie pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs.

 

Evangile : La Samaritaine et le don de l'eau vive (Jn 4, 5-42 [lecture brève: 4, 5-15.19b-26.39a.40-42])

Acclamation : Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Le Sauveur du monde, Seigneur, c'est toi ! Donne-nous de l'eau vive, et nous n'aurons plus soif. Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Jn 4, 42.15)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Jésus arrivait à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph, et où se trouve le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s'était assis là, au bord du puits. Il était environ midi.
Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l'eau. 
Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
(En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger.)
La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.)
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. »
Elle lui dit : « Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l'eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit : « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. »
La femme lui dit : « Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. »
Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. »
La femme répliqua : « Je n'ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n'as pas de mari, car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari : là, tu dis vrai. »
La femme lui dit : « Seigneur, je le vois, tu es un prophète. Alors, explique-moi : nos pères ont adoré Dieu sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut l'adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l'heure vient où vous n'irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.
Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous, celui que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
Mais l'heure vient — et c'est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.
Dieu est esprit, et ceux qui l'adorent, c'est en esprit et vérité qu'ils doivent l'adorer. »
La femme lui dit : « Je sais qu'il vient, le Messie, celui qu'on appelle Christ. Quand il viendra, c'est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
Jésus lui dit : « Moi qui te parle, je le suis. »

Là-dessus, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que demandes-tu ? » ou : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »
La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens :
« Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? »
Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers Jésus.

Pendant ce temps, les disciples l'appelaient : « Rabbi, viens manger. »
Mais il répondit : « Pour moi, j'ai de quoi manger : c'est une nourriture que vous ne connaissez pas. »
Les disciples se demandaient : « Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ? »
Jésus leur dit : « Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre.
Ne dites-vous pas : 'Encore quatre mois et ce sera la moisson' ? Et moi je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson.
Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit avec le moissonneur.
Il est bien vrai, le proverbe : 'L'un sème, l'autre moissonne.'
Je vous ai envoyés moissonner là où vous n'avez pas pris de peine, d'autres ont pris de la peine, et vous, vous profitez de leurs travaux. »

Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause des paroles de la femme qui avait rendu ce témoignage : « Il m'a dit tout ce que j'ai fait. »
Lorsqu'ils arrivèrent auprès de lui, ils l'invitèrent à demeurer chez eux. Il y resta deux jours.
Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de ses propres paroles, et ils disaient à la femme : « Ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant ; nous l'avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c'est vraiment lui le Sauveur du monde. »
Patrick BRAUD 

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14 mars 2014 5 14 /03 /mars /2014 00:01
Dressons trois tentes...

 

Homélie du 2° dimanche de Carême / Année A
16/03/2014

 

Quand vous arrivez à un sommet de votre existence, que faites-vous ?

 

Vous dites-vous : tout va bien pour moi, enjoy !

Commencez-vous déjà à préparer la suite ?

Êtes-vous de ceux qui se croient invulnérables, ou plutôt de ceux qui ont peur que tout cela ne dure pas ?

 

Pierre, lui, est tellement fasciné par la révélation de Jésus transfiguré qu'il souhaite appuyer sur la touche pause : « dressons trois tentes ». Il voudrait que Jésus, Moïse et Élie soient réunis, et qu'il puisse continuer à les contempler plus longtemps. Il gémit : ô temps suspends ton vol !, et demande à Jésus de ne pas aller plus loin...

 

Dressons trois tentes…

Nombre de couples parvenus à un sommet de leur relation voudraient ainsi arrêter le temps.

Nombre d'artistes au plus intense de leur inspiration voudraient y demeurer suspendus, portés par la fécondité de leur élan créatif dans cette période.

Nombre de situations professionnelles peuvent susciter une telle aspiration : je suis maintenant à un poste optimum, laissez-moi tranquille avec les mouvements à venir, je veux savourer le plus longtemps possible.

Toutes ces réactions sont légitimes. Que serait une si féroce envie de changement qu'elle empêcherait de savourer le moment présent ?

C'est juste l'installation dans un état donné qui peut devenir dangereuse.

Croire qu'on est un sommet indépassable empêche d'en découvrir de nouveaux.

S'imaginer un couple sans faille peut rendre aveugle sur ce qui va bientôt devoir être mis en chantier pour que l'amour reste vivant.

Croire qu'une situation professionnelle est gravée dans le marbre empêche de se remettre en cause et de voir les périls à venir.

 

Bref, s'installer, s'est décliner.

Bergson le disait avec talent : le seul élément stable du christianisme, c'est l'ordre de ne s'arrêter jamais.

C'est bien la réponse de Jésus à notre pauvre Pierre chamboulé par la Transfiguration : descend de la montagne ; après la Résurrection tu comprendras et tu pourras parler. D'ici là, marche seulement et ne laisse ni le Mont Thabor, ni bientôt la colline du Golgotha arrêter ta marche.

C'était déjà le commandement lancé à Abraham : « pars de ton pays, laisse la famille et la maison de ton père ». Dieu demande à Abraham de ne pas s'installer dans son héritage matériel et spirituel, de prendre la route vers ailleurs, sans autre bagage que la promesse de la bénédiction de Dieu.

 


Ne pas s'installer...

Le renouveau actuel du pèlerinage sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle est un écho de la résonance que cet appel de Dieu éveille en nous.

 

Ils sont des milliers à partir chaque année sur des chemins inconnus, pour que la route faite avec leurs pieds les aide à parcourir le voyage qu'ils ont à faire dans leur tête et dans leur coeur.

Certains chaussent les pataugas après un événement bouleversant, comme on va chez le kiné pour une convalescence après une opération.

Certains partent après mûre réflexion parce qu'ils sentent qu'ils ont rendez-vous avec eux-mêmes en cours de route.
D'autres quittent leur maison par goût de l'aventure, des rencontres improbables, voire de la performance physique.

Peu importe après tout : l'essentiel est de quitter chez soi, d'oser se mettre en route, de ne pas s'installer.

Ces marcheurs redisent une vérité qui vaut pour tous : ne pas sortir de chez soi devient vite mortel ; ne jamais faire le détour par l'autre (l'autre pays, l'autre culture, l'autre visage...) rend stériles nos meilleures possessions ; vouloir figer le temps est illusoire ; dresser une tente au sommet du mont Thabor nous privera de Pâques...

 

Si cette exigence biblique du départ nous semble dure, c’est parce que nous ne croyons pas assez à la promesse de bénédiction qui y est associée. Si l'appel évangélique à descendre de la montagne nous effraie, c'est parce que la promesse de la résurrection nous paraît moins consistante que le bonheur actuel. Sinon, nous nous mettrions en route, heureux d'avoir entraperçu de manière fulgurante la beauté promise.

 

Les sommets auxquels nous touchons parfois ne sont pas là pour suspendre notre élan, mais pour nous servir de bâton de marche.

 

L'enfant qui doit quitter la maison pour ses études, l'amoureux(se) qui va quitter l'enfance pour fonder un couple, le couple qui ne se laissera pas endormir par les débuts heureux, le poste professionnel qui me demande d'évoluer, la retraite qui oblige à voir la vie autrement, et jusqu'à la fin de la vie elle-même comme un appel à accepter de partir : du début à la fin, le seul élément stable du christianisme est l'ordre ne s'arrêter jamais.

 

Puissions-nous entendre les appels que Dieu nous lance aujourd'hui à partir du point que nous occupons, à viser d'autres sommets encore, à nous laisser conduire par l’Esprit toujours plus loin, sans nous installer en cours de route.

 

 

 


 

1ère lecture : La vocation d'Abraham (Gn 12, 1-4a)

Lecture du livre de la Genèse

Abraham vivait alors en Chaldée. Le Seigneur lui dit : « Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père, va dans le pays que je te montrerai.
Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te méprisera. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »

Abraham partit, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth partit avec lui.

 

Psaume : Ps 32, 4-5, 18-19, 20.22

R/ Seigneur, ton amour soit sur nous, comme notre espoir est en toi !

 

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; 
il est fidèle en tout ce qu'il fait. 
Il aime le bon droit et la justice ; 
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent, 
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort, 
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur : 
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous 
comme notre espoir est en toi.

 

2ème lecture : Dieu nous appelle à connaître sa gloire (2Tm 1, 8b-10)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée

Fils bien-aimé,
avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l'annonce de l'Évangile.
Car Dieu nous a sauvés, et il nous a donné une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles,
et maintenant elle est devenue visible à nos yeux, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s'est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l'immortalité par l'annonce de l'Évangile.

 

Evangile : La Transfiguration (Mt 17, 1-9)

Acclamation : Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Du sein de la nuée resplendissante, la voix du Père retenti : « Voici mon Fils, mon bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l'écart, sur une haute montagne.
Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! »
Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d'une grande frayeur.
Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et n'ayez pas peur ! »
Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.

En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. »
Patrick Braud

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 00:01
Ne nous laisse pas entrer en tentation

 

Homélie du 1° dimanche de Carême / année A
09/03/2014

 

Les tentations de Jésus au désert de ce dimanche nous amènent à nos propres tentations, et à la prière du Notre Père qui nous aide à les combattre.

 

« Ne nous laisse pas entrer en tentation » : c'est la nouvelle traduction francophone de la fin du Notre Père, adoptée le 22 novembre 2013. Elle entrera en vigueur en 2015 sans doute, et changera bien des habitudes !


 

Quel est l'enjeu de cette modification ?

L'ancien traduction : « ne nous soumets pas à la tentation » pouvait porter à confusion. Dieu serait-il l'auteur de la tentation ? Prendrait-il un malin plaisir à nous y soumettre ? La réponse toute la Bible est très nette : non !

Notre première lecture de la Genèse précise bien que c'est le serpent qui induit Ève en tentation, pas Dieu. Notre évangile met bien Satan en scène comme celui qui cherche à faire chuter Jésus, au sens propre comme au sens figuré.

Et St Jacques sera encore plus clair : « Que personne, lorsqu'il est tenté, ne dise : c'est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne. » (Jc 1,13) 

 

Prier Dieu de ne pas nous soumettre à la tentation laisserait planer un doute sur l'innocence divine face à la victoire du mal sur nous : impensable ! La nouvelle traduction recherche à éviter cet écueil, en collant au plus près du latin : ne nos inducas in tentationem = fais en sorte que nous ne soyons pas conduits sur le chemin de la tentation.

Elle colle davantage encore au grec : le verbe utilisé eispherô signifie porter dans, faire entrer. La tentation est vue (en grec) comme un lieu dans lequel Dieu nous introduirait. C'est un peu ce que fait l'Esprit dans l’évangile de ce dimanche : il conduit Jésus au désert pour y être tenté (par Satan, pas par Dieu) Mt 4,11.

C'est le sens que Jésus donne à sa prière à Gethsémani : il entre en tentation (« que cette coupe s'éloigne de moi ») mais la surmonte en s'appuyant sur son identité filiale (« Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux »). Connaissant la faiblesse de ses disciples, il leur conseille alors, fort de cette expérience à Gethsémani : « priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41). Dieu peut nous conduire vers (le désert, la tentation), mais il ne veut ni ne peut nous introduire dans.

 

Le désert est ici le lieu type de la tentation, en référence à l'épisode de l'Exode où les hébreux ont mis Dieu à l'épreuve (Ex 17,7), à Massa, près de Réfidim.

 

Mais c'est Dieu qui est mis à l'épreuve à Massa, comme Jésus est mis à l'épreuve au désert. Le peuple hébreu à Massa, le Satan au désert enfreignent chacun le commandement : « tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu » (Mt 4,7 ; Lc 4,12 ; Dt 6,16).

 

Sachant d'expérience que ce combat pour rester fidèle dans l'épreuve est vraiment dangereux, Jésus demande ses disciples de prier pour que nous ne soyons pas exposés à nous engager dans cette rude bataille. Suivre le Christ, c'est s'exposer à être tenté. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » signifie : aide-nous à ne pas mettre le pied dans les sables mouvants de la tentation, que nous risquons de ne pas pouvoir traverser.

Car, si l'Esprit nous conduit au désert, c'est bien de nous-mêmes que nous entrons dans l’influence du mal. À l'image d'Ève qui aurait pu se boucher les oreilles au sifflement du serpent : mais elle s'est exposée (imprudemment) et s'est finalement laissée vaincre par le tentateur.

 

L'enjeu de cette nouvelle traduction est donc vital pour nous :

1. Ne pas croire ou laisser croire que Dieu serait l'auteur de la tentation.

2. Ne pas croire ou laisser croire non plus que nous sommes l'auteur absolu du mal. C'est un autre (le "serpent", le "Satan") qui nous tente, et nous tombons dans le panneau en entrant en tentation.

3. Prendre conscience de notre propension naturelle à succomber aux tentations, aux fausses promesses que nous rencontrons sur notre route.

 

 

 

« Dieu ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces » 1Co 10,13 : cette conviction de Paul nous aide à déchiffrer nos épreuves comme des victoires à remporter et non des destructions cumulatives. La prière du Notre Père nous rend forts pour ne pas mettre les pieds en terrain miné : appuyés  sur l'amour paternel de Dieu pour nous, c'est ne pas s'engager sur des chemins où le combat serait trop difficile, ne pas s'exposer imprudemment en préjugeant de sa force. Et si la fournaise de l'épreuve arrive, comme à Massa ou Gethsémani, que notre communion au Christ nous rende forts en lui pour devenir fidèles à travers la tentation.

 

Un enjeu oecuménique

C'est l'autre aspect du Notre Père : la seule prière que Jésus a enseignée à ses disciples doit pouvoir être récitée ensemble, quelles que soient les confessions chrétiennes. C'était le cas jusqu'à présent depuis Vatican II. Qu'en sera-t-il en 2015 ? Les autres Églises chrétiennes vont-elles adopter ce « ne nous laisse pas  entrer en tentation » ? On peut regretter que l'Église catholique ait décidé ce changement de manière unilatérale, sans y associer les autres Églises. Elles pourront cependant y trouver une bien plus grande fidélité au texte biblique, et une plus grande cohérence théologique. Espérons que le Notre Père ne se terminera pas en un bredouillage généralisé et gêné, jetant un voile pudique sur nos différences en la matière...

 

 

 

Aucune traduction n'est parfaite. Traduttore, traditore disent les italiens !

« Ne nous laisse pas entrer en tentation » laisse encore planer quelques  interrogations. On sent bien qu'il y a conflit entre la liberté humaine qui peut choisir de se laisser dominer par la tentation, et l'amour de Dieu qui désire nous en sauver, mais ne peut le faire malgré nous... En remplaçant la soumission à par l’entrée en, la nouvelle version du Notre Père a le mérite de réveiller notre liberté en s'appuyant sur l’amour de Dieu pour nous.

Si vous avez déjà hésité au seuil d'une vraie tentation, vous savez ce que cela veut dire.

 

Dieu ne soumet personne. Il vole au secours de celui qui l'appelle.

Et comment devenir fidèles sans prier, c'est-à-dire sans nous appuyer sur Dieu qui alors ne nous laisse pas entrer en tentation ?

 


1ère lecture : La création de l'homme. Le péché (Gn 2, 7-9; 3, 1-7a)

Lecture du livre de la Genèse

Au temps où le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre, il modela l'homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l'homme devint un être vivant.
Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait modelé.
Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toute sorte d'arbres à l'aspect attirant et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait fait. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a dit : 'Vous ne mangerez le fruit d"aucun arbre du jardin'»
La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour celui qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : 'Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sinon vous mourrez.' »
Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » 
La femme s'aperçut que le fruit de l'arbre devait être savoureux, qu'il avait un aspect agréable et qu'il était désirable, puisqu'il donnait l'intelligence. Elle prit de ce fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea.
Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus.

 

Psaume : Ps 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17

R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché.

 

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, 
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute, 
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché, 
ma faute est toujours devant moi. 
Contre toi, et toi seul, j'ai péché, 
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait. 

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, 
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. 
Ne me chasse pas loin de ta face, 
ne me reprends pas ton esprit saint. 

Rends-moi la joie d'être sauvé ; 
que l'esprit généreux me soutienne. 
Seigneur, ouvre mes lèvres, 
et ma bouche annoncera ta louange.

 

2ème lecture : Là où le péché s'était multiplié, la grâce a surabondé (brève : 5, 12.17-19) (Rm 5, 12-19)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères,
par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, du fait que tous ont péché.
Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde. Certes, on dit que le péché ne peut être sanctionné quand il n'y a pas de loi ; mais pourtant, depuis Adam jusqu'à Moïse, la mort a régné, même sur ceux qui n'avaient pas péché par désobéissance à la manière d'Adam. Or, Adam préfigurait celui qui devait venir.
Mais le don gratuit de Dieu et la faute n'ont pas la même mesure. En effet, si la mort a frappé la multitude des hommes par la faute d'un seul, combien plus la grâce de Dieu a-t-elle comblé la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Le don de Dieu et les conséquences du péché d'un seul n'ont pas la même mesure non plus : d'une part, en effet, pour la faute d'un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d'autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification.
En effet, si, à cause d'un seul homme, par la faute d'un seul homme, la mort a régné, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en plénitude le don de la grâce qui les rend justes.
Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l'accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie.
En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu'un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu'un seul homme a obéi.

 

Evangile : La tentation de Jésus (Mt 4, 1-11)

Acclamation : Ta parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole venant de la bouche de Dieu. 
Ta parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.(cf. Mt 4, 4)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Le tentateur s'approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » 

Alors le démon l'emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. » 

Le démon l'emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire.
Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m'adorer. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu adoreras. » 

Alors le démon le quitte. Voici que des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient.
Patrick Braud

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3 mars 2014 1 03 /03 /mars /2014 00:01
La radieuse tristesse du Carême

 

Homélie du Mercredi des Cendres / Année A
05/03/2014


Homélie pour entrer en Carême : 

 

La "radieuse tristesse" de ces 40 jours

 

« Radieuse tristesse »

C’est par cette belle et énigmatique expression que nos frères orthodoxes saluent ces 40 jours du Carême qui commencent.

 

« Radieuse tristesse » : en français, on appelle cela un oxymore, c'est-à-dire une association de deux contraires logiquement incompatibles (comme ‘aigre-doux’ ou ‘clair-obscur’). Mais Dieu n’est-il pas justement dans l’union des contraires ?

 

« Radieuse tristesse » : on y entend d’abord la tristesse, en écho à la lecture du prophète Joël : « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes, et le deuil ! Entre le portail et l’autel, les prêtres iront pleurer : ‘pitié Seigneur pour ton peuple’… » (Jl 2,12-18)

 

Impossible de rayer la tristesse de cette période de Carême sous prétexte que ce ne serait pas à  la mode, ou commercialement peu attractif !

Cette tristesse parcourt toute la Bible en fait :

- celle de Marie-Madeleine pleurant sur ses nombreux péchés,

- celle de David se couvrant de cendres en découvrant qu’il a commis un adultère et un meurtre,

- la tristesse de l’enfant prodigue qui revient poussé par la faim,

- ou encore la tristesse de Pierre qui s’entend dire par 3 fois : « M’aimes-tu ? »

- c’est notre propre tristesse, le front marqué de cendres, conscient de la conversion que nous avons à vivre...

 

Saint André de Crète a composé un très bel hymne qui est chanté par l’Église orthodoxe pendant le Carême. Olivier Clément l’appelle « le chant des larmes ». Il constitue une confession publique, dans un élan de sincérité religieuse absolue, après repentance.

 

« Viens donc, âme endurcie, revêtue de ta chair,
confesse-toi au Créateur de toutes choses ;
rejette loin de toi ton délire et offre à Dieu des larmes de pénitence.

Comme David, je suis tombé dans la folie. Et je me suis roulé dans la boue.
Mais lave-moi, ô mon Sauveur, par mes larmes.

Ne t’abandonne pas au désespoir, ô mon âme.
Médite la foi de la Cananéenne, dont la fille fut guérie par une seule parole de Dieu, et avec elle, crie du fond de ton cœur : ‘Fils de David, sauve-moi !’ »
 

 

Ainsi s'exprime la liturgie orthodoxe dans le chant des larmes du Carême...

 

Mais cette tristesse est radieuse, parce qu’elle est déjà illuminée de l’évènement pascal.

De même qu’à Noël nous ne faisons pas semblant de faire naître l’enfant Jésus dans la crèche, car cela est accompli une fois pour toutes, de même pendant le Carême nous ne faisons pas semblant de vivre la Passion sans avoir déjà la force de la Résurrection en nous. Comme le dit Paul, il s’agit de « le connaître, lui, le Christ, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts » (Ph 3, 10). 

Dans cet ordre: la Résurrection d'abord (celle du Christ), puis la Passion, puis la Résurrection ensuite (la nôtre) !

 

Parce que nous sommes d’après Pâques, la tristesse du Carême est radieuse de cette promesse de vie déjà accomplie en Christ.

Les lamentations de la Semaine Sainte sont rayonnantes de la consolation pascale.

L’office des Ténèbres du Vendredi Saint lui-même est diaphane de la victoire du Christ sur le mal et la mort.

Une beauté intérieure illumine ces jours de tristesse, comme les premiers rayons de l’aurore illuminent l’au-delà de l’horizon courbe des marins alors qu’ils naviguent dans la nuit noire…

 

« Radieuse tristesse » : tristesse de notre exil, du gâchis que nous faisons parfois de notre vie ; radieuse espérance de retrouver par là même le désir de chercher Dieu, le goût de sa présence, la paix du domicile retrouvé…

 

« Radieuse tristesse »  est donc bien le climat liturgique de ce Carême.

 

Les orthodoxes, explorant cette piste de l’union des contraires en Dieu, disent aussi : « douloureuse joie », car la joie de la renaissance passe par les douleurs de l’enfantement, ou encore : « triste clarté » car la clarté de Pâques dévoile les ombres de notre existence que nous découvrons alors avec tristesse, au moment même où elles sont dissipées… 


Une traduction musicale de cette étonnante tristesse pourrait s'entendre dans l'oeuvre d'Arnold Schoenberg : la "nuit transfigurée" : un pèlerinage nocturne magnifique à travers l'épreuve d'un couple qui réussit à surmonter la nuit de sa désunion...


Nuit transfigurée,

triste clarté,

douloureuse joie ...: 

que ce Carême nous donne d’expérimenter la radieuse tristesse des enfants de Dieu que nous sommes, pécheurs et aimés, pardonnés et encore en chemin vers la liberté parfaite…

 

 

 

 

 

1ère lecture : Appel à la pénitence (Jl 2, 12-18)

Lecture du livre Joël

Parole du Seigneur : « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! »
Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d'amour, renonçant au châtiment.
Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et vous combler de ses bienfaits : ainsi vous pourrez offrir un sacrifice au Seigneur votre Dieu.
Sonnez de la trompette dans Jérusalem : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une solennité, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre !
Entre le portail et l'autel, les prêtres, ministres du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n'expose pas ceux qui t'appartiennent à l'insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu'on dise : 'Où donc est leur Dieu ?' »

Et le Seigneur s'est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.

 

Psaume : Ps 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17

R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché.

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, 
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute, 
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, 
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. 
Ne me chasse pas loin de ta face, 
ne me reprends pas ton esprit saint. 

Rends-moi la joie d'être sauvé ; 
que l'esprit généreux me soutienne. 
Seigneur, ouvre mes lèvres, 
et ma bouche annoncera ta louange.

 

2ème lecture : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20-21; 6, 1-2)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c'est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu.
Celui qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu.
Et puisque nous travaillons avec lui, nous vous invitons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu.
Car il dit dans l'Écriture : Au moment favorable je t'ai exaucé, au jour du salut je suis venu à ton secours. Or, c'est maintenant le moment favorable, c'est maintenant le jour du salut.

 

Evangile : L'aumône, la prière et le jeûne comme Dieu les aime(Mt 6,1-6.16-18)

Acclamation : Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. « Convertissez-vous, dit le Seigneur, car le Royaume des cieux est proche. » Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 17)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 

  1. Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
    « Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d'agir devant les hommes pour vous faire remarquer. Autrement, il n'y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
    Ainsi, quand tu fais l'aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi, comme ceux qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense.
    Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra.

    Et quand vous priez, ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle : quand ils font leurs prières, ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et les carrefours pour bien se montrer aux hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense.
    Mais toi, quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra.

    Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme ceux qui se donnent en spectacle : ils se composent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu'ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense.
    Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra. »
    Patrick BRAUD
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27 février 2014 4 27 /02 /février /2014 00:01
Pour quoi m'as-tu abandonné ?

 

Homélie du 8° dimanche du temps ordinaire / Année A
02/03/2014

 

 

 

Jérusalem disait : « Le Seigneur m'a abandonnée, le Seigneur m'a oubliée. »
Est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l'oublier, moi, je ne t'oublierai pas. — Parole du Seigneur tout-puissant. (Is 49,14-15)

 

Cette déclaration d'amour inconditionnel est bouleversante. Hélas, on a vu des mères (et des pères) abandonner la chair de leur chair... Dieu sait bien que l'amour parental est faillible. Ce n'est pas Dieu qui est à l'image des parents. C'est l'inverse. L'amour d'une mère ou d'un père est appelé à ressembler à l'amour de Dieu pour chacun de nous. Et ce n'est pas en extrapolant le comportement des parents qu'on peut imaginer qui est Dieu pour nous. C'est bien plutôt en partant de Dieu que les parents humains peuvent devenir vraiment père et mère. L'homme n'a pas inventé Dieu : c'est l'inverse !

En tout cas, même si une mère abandonne son enfant, Dieu – lui - ne nous abandonnera jamais.

 

Pourtant, quiconque vit assez longtemps rencontrera des épreuves qui le feront douter de sa promesse.

Impossible de vivre toute une existence sans être confronté tôt ou tard à un divorce, un deuil, une maladie, un drame professionnel ou personnel. Lorsque que cela arrive, notre prière n'est plus qu'un cri plein de reproches et de doute : « pourquoi m’as-tu abandonné ? » Existes-tu vraiment, si autant d'injustice et d'absurde vient envahir notre histoire ?

 

À cette question lancinante, le peuple de la Bible a répondu de multiples manières, en fonction des situations rencontrées et de sa maturité spirituelle.

 

Abandonné à cause de nos fautes

- La première piste, la plus facile à explorer, est celle des conséquences de nos actes. Il nous arriverait malheur sur malheur par ce que nous avons péché, et ce ne serait que justice que d'être ainsi frappés pour nos égarements d'hier.

C'est l'interprétation des prophètes réfléchissant sur l'exil du peuple juif à Babylone. Si les juifs ont été déportés de -587 à -527, c’est parce qu'ils avaient rompu trop souvent l'Alliance avec Dieu, notamment en ne défendant pas les plus faibles (la veuve, l'orphelin, l'immigré), et en se prostituant avec les idoles étrangères (Baal, Mammon, Zoroastre...).

Comme à chaque explication, il y a une part de vrai là-dedans. Des régimes politiques corrompus et inhumains finissent toujours par se détruire eux-mêmes (cf. la chute du mur de Berlin en 1989). Bien des écroulements, personnels ou collectifs, s'enracinent dans ces ruptures d'Alliance qui à terme engendrent des catastrophes pourtant prévisibles.

 

Mais cette interprétation ne convient pas pour la Shoah : qu’aurait donc fait le peuple juif pour ‘mériter’ un génocide de 6 millions de morts à la clef ? En rejetant formellement l'accusation de peuple déicide, Vatican II déboute les vieilles explications du mal subi par le mal commis.

Non, cela ne peut pas tenir...

 

Abandonné sans raison

- Du coup, les théologiens qui méditent sur la Shoah en viennent plutôt à adopter la position de Job.

Job, l'innocent confronté au mal sans pourquoi.

Job, le juste accablé sans raison.

Il perd tout (biens, famille, amis, santé) mais pourtant refuse de se reconnaître coupable, car il ne l’est pas. Il se bat violemment contre Dieu pour lui demander des comptes de cet immense malheur injuste. Aucune réponse ne lui sera donnée en fait, sinon que Dieu est si grand qu'il excède toutes les réponses possibles. Le malheur est incompréhensible, et même la foi en Dieu ne fournit aucune solution à cette  énigme. Seul le face-à-face avec Dieu au-delà de la mort lèvera le voile sur ce paradoxe incompréhensible : Dieu ne nous abandonne pas, et pourtant nous souffrons sans raison.

 

Abandonné par effet boomerang

- Une interprétation plus subtile s'est glissée entre ces deux premières. Nos déroutes peuvent provenir de notre mauvaise utilisation du nom de Dieu. C'est l'histoire édifiante de la défaite d'Israël devant les Amalécites (1S 4,1-11).

Il advint en ce temps-là que les Philistins se rassemblèrent pour combattre Israël, et les Israélites sortirent à leur rencontre pour le combat. Ils campèrent près d'Eben-ha-Ezèr, tandis que les Philistins étaient campés à Apheq.

Les Philistins s'étant mis en ligne contre Israël, il y eut un rude combat et Israël fut battu devant les Philistins: environ 4.000 hommes furent tués dans les lignes, en rase campagne. L'armée revint au camp et les anciens d'Israël dirent: "Pourquoi Yahvé nous a-t-il fait battre aujourd'hui par les Philistins? Allons chercher à Silo l'arche de notre Dieu, qu'elle vienne au milieu de nous et qu'elle nous sauve de l'emprise de nos ennemis." L'armée envoya à Silo et on enleva de là l'arche de Yahvé Sabaot, qui siège sur les chérubins, les deux fils d'Eli, Hophni et Pinhas, accompagnaient l'arche. Quand l'arche de Yahvé arriva au camp, tous les Israélites poussèrent une grande acclamation, qui fit résonner la terre.  Les Philistins entendirent le bruit de l'acclamation et dirent: "Que signifie cette grande acclamation au camp des Hébreux", et ils connurent que l'arche de Yahvé était arrivée au camp. Alors les Philistins eurent peur, car ils se disaient: "Dieu est venu au camp!" Ils dirent: "Malheur à nous! Car une chose pareille n'est pas arrivée auparavant. Malheur à nous! Qui nous délivrera de la main de ce Dieu puissant? C'est lui qui a frappé l'Égypte de toutes sortes de plaies au désert. Prenez courage et soyez virils, Philistins, pour n'être pas asservis aux Hébreux comme ils vous ont été asservis; soyez virils et combattez!"

 

Les Philistins livrèrent bataille, les Israélites furent battus et chacun s'enfuit à ses tentes; ce fut un très grand massacre et 30.000 hommes de pied tombèrent du côté d'Israël. L'arche de Dieu fut prise et les deux fils d'Eli moururent, Hophni et Pinhas. 

 

Le peuple croit que l'arche d'Alliance va lui assurer la victoire sur ses ennemis, et voilà que la défaite est encore plus spectaculaire que sans l'arche d'Alliance. C'est donc que réquisitionner Dieu pour des combats qui ne sont pas les siens se termine souvent très mal. Crier Gott mit uns, en hébreu, en afrikaner ou en arabe ne peut que se terminer en tragédie.


Ce malheur-là vient de notre folie, pas de l'abandon par Dieu.

 

Abandonné par un petit dieu trop faible

- Bien avant Israël, la règle était simple. Il y avait plusieurs dieux, et le plus vrai était le plus fort, c'est-à-dire celui qui obtenait la victoire.

 

Si un dieu est impuissant dans la bataille, s'il ne protège pas du mal et de la souffrance, j'en déduis qu'il est inférieur, et donc je change de Dieu pour adopter celui de mon vainqueur. Logique ! Mais un peu trop court pour expliquer les abandons successifs par des idoles successives...

 

Abandonné par des dieux indifférents

- Les païens d'autrefois ou d'aujourd'hui en tirent d'ailleurs une conclusion séduisante : les dieux ne se soucient pas des hommes.

Ils vivent loin d’eux, et sont indifférents à leur bonheur ou à leur malheur. C'est à nous de capter les forces bénéfiques (ou maléfiques) pour les faire servir à notre cause : par des sacrifices, par des rituels magiques, par des intermédiaires imaginaires...

Là au moins, l'abandon divin est réel, total, voulu.


 

Le Christ abandonné

- Le Christ interrompt cette ligne d’explications tâtonnantes en inaugurant une rupture radicale. Il ne propose pas de solution à l'énigme du malheur innocent : il l’endosse lui-même, jusqu'à l'ultime. Aucune théorie prétendant détenir la clef de la souffrance et du malheur dans son Évangile, mais plutôt une absolue solidarité avec ceux qui sont écrasés de douleur, humiliés, rejetés, exclus à cause de l'épreuve qui leur est imposée.

En acceptant la croix - suprême malédiction pour le fils de Dieu qu'il était - le Christ vient faire corps avec les damnés de la terre pour que aucun ne se croit plus désormais abandonné.

 

Parce qu'il a crié lui-même sa déréliction : « mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ? »  (Mt 27,46) Jésus est devenu le frère des abandonnés, et leur sauveur : « aujourd'hui, avec moi, tu seras en paradis » (Lc 23,42).

 

Le Christ a été abandonné par son Père pour ouvrir à tous les abandonnés le chemin de la communion avec Dieu. Il est descendu dans l'humiliation et le malheur de la croix pour que le mal n’ait plus jamais le dernier mot sur la dignité humaine. Il est descendu aux enfers mêmes, pour que la mort - suprême injustice - soit vaincue.

 

Identifié à l'abandonné de Dieu, Jésus détourne ceux qui se reconnaissent en lui de la volonté mortifère d'explication du passé, pour les ouvrir à l'avenir promis : la communion d'amour en Dieu.

 

Deux conséquences très importantes pour nous à cette identification de Jésus au Jobs que nous sommes :

 

1) distinguer abandon et sentiment d'abandon.

Nous pouvons éprouver dans notre chair et/ou notre esprit que Dieu nous abandonne. Ce n'est pas pour autant la réalité de ce que Dieu fait. Notre sentiment peut être authentique sans être vrai pour autant. Nous devons apprendre à distinguer l'expérience et l'interprétation que nous en faisons. Souffrir ne veut pas dire que Dieu le veut ou ne le veut pas. Être dans l'épreuve ne signifie pas que Dieu nous a laissé de côté.

Ce n'est pas parce que nous ne voyons pas le soleil qu'il n'existe pas, indépendamment de nous. C'est simplement que notre point de vue, plongé dans les ténèbres, ne nous permet plus de discerner l'astre caché.

 

2) Depuis le cri de déréliction de Jésus sur le bois de la croix, notre propre cri d'abandon en est totalement transformé.

Si la douleur nous fait encore pleurer : « pourquoi m'as-tu abandonné ? », tout  doucement la force de la résurrection nous fait prier : « pour quoi m’as-tu abandonné ? »

En vue de quoi cela nous arrive-t-il ?

Sur quoi cela peut-il déboucher ?

Comment devenir plus humains et plus nous-mêmes à travers cette épreuve ?

Ce ‘pour quoi’ n'accuse pas Dieu d'avoir manigancé tout cela pour nous faire évoluer. Non : il mise sur la déclaration inconditionnelle de Dieu de ne jamais nous abandonner pour lui demander de nous aider à trouver une fécondité possible à ce qui demeure un mal.

De même que la croix du Christ, symbole de l'horreur absolue, est devenue le symbole de l'amour absolu, ainsi nos sentiments d'abandon - malheur injuste - peuvent devenir des chemins de fécondité à travers le mal.

De Job à Martin Gray, de l'esclavage en Égypte à la Shoah, ils sont nombreux ceux qui ont cru en cette parole : "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus le marché."

 

À chacun de nous de travailler sur lui-même pour discerner à quelle fécondité il est appelé à travers les épreuves qui s'imposent à lui.

 

À nous de transformer nos « pourquoi m'as-tu abandonné ? » en « pour quoi m'as-tu abandonné ? »...

 

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1ère lecture : Dieu ne peut pas oublier son peuple (Is 49, 14-15)

Lecture du livre d'Isaïe

Jérusalem disait : « Le Seigneur m'a abandonnée, le Seigneur m'a oubliée. »

Est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l'oublier, moi, je ne t'oublierai pas. — Parole du Seigneur tout-puissant.

 

Psaume : 61, 2-3, 8, 9

R/ En Dieu seul, le repos de notre âme.

Je n'ai de repos qu'en Dieu seul, 
mon salut vient de lui. 
Lui seul est mon rocher, mon salut, 
ma citadelle : je suis inébranlable.

Mon salut et ma gloire 
se trouvent près de Dieu. 
Chez Dieu, mon refuge, 
mon rocher imprenable ! 

Comptez sur lui en tous temps, 
vous, le peuple. 
Devant lui épanchez votre cœur : 
Dieu est pour nous un refuge.

 

2ème lecture : C'est Dieu qui juge : ne jugez pas (1 Co 4, 1-5)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, 
il faut que l'on nous regarde seulement comme les serviteurs du Christ et les intendants des mystères de Dieu.

Et ce que l'on demande aux intendants, c'est en somme de mériter confiance.

Pour ma part, je me soucie fort peu de votre jugement sur moi, ou de celui que prononceraient les hommes ; d'ailleurs, je ne me juge même pas moi-même.

Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n'est pas pour cela que je suis juste : celui qui me juge, c'est le Seigneur.

Alors, ne portez pas de jugement prématuré, mais attendez la venue du Seigneur, car il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et il fera paraître les intentions secrètes. Alors, la louange qui revient à chacun lui sera donnée par Dieu.

 

Evangile : Sermon sur la montagne. Confiance en Dieu notre Père (Mt 6, 24-34)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Cherchez d'abord le royaume de Dieu, et tout vous sera donné par surcroît. Alléluia. (Mt 6, 33)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Aucun homme ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent.

C'est pourquoi je vous dis : Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ni pour votre corps, au sujet des vêtements. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?

Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils ne font pas de réserves dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ?

D'ailleurs, qui d'entre vous, à force de souci, peut prolonger tant soit peu son existence ?

Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas.

Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'était pas habillé comme l'un d'eux.

Si Dieu habille ainsi l'herbe des champs, qui est là aujourd'hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ?

Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : 'Qu'allons-nous manger ?' ou bien : 'Qu'allons-nous boire ?' ou encore : 'Avec quoi nous habiller ?'

Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin.

Cherchez d'abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché.

Ne vous faites pas tant de souci pour demain : demain se souciera de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »
Patrick BRAUD

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22 février 2014 6 22 /02 /février /2014 00:01

Boali, ou l'amour des ennemis

 

Homélie du 7° dimanche du temps ordinaire / Année A
23/02/2014

 

Centrafrique : dans un pays en plein chaos, où la guerre civile dégénère en guerre de religion entre musulmans et chrétiens, ils sont quelques-uns à croire à la parole du Christ d'aujourd'hui : « vous avez appris qu'il a été dit : tu aimeras ton prochain. Eh bien moi, je vous dis : aimez vos ennemis ».

  

 

Protéger la famille de son ennemi

 

Boali le 19 janvier 2014.

Nous sommes au nord de Bangui, capitale de la Centrafrique. Le 17 janvier, des combats ont éclaté entre milices chrétiennes (anti-balaka) et musulmanes (Seleka) : six musulmans et chrétiens sont tués, des maisons sont incendiées, dévastées. Les familles musulmanes, craignant que ces représailles des anti-balaka sur les Seleka s'amplifient, s’enfuient affolées, sans savoir où aller. Face à l'urgence, l'abbé Xavier Fagba et son diacre Boris Wiligale ont alors ouvert les portes de leur paroisse (St Pierre) à des centaines de musulmans, dont de nombreux Peuls (éleveurs nomades), fuyant les violences.

Quelque 700 civils selon l'abbé, en majorité des femmes et des enfants, ont déjà passé deux nuits dans l'église au toit de tôle ondulée, gardée par quelque 70 hommes de l'opération militaire française Sangaris.

 

Lors de la messe ce dimanche 19 janvier, l'abbé Xavier invite les paroissiens à sortir de l'église au moment du geste de paix pour aller saluer les musulmans assis dehors. C'est la mise en pratique très concrète, simple et forte, du chapitre 5 de Matthieu d’où est tiré notre évangile de ce dimanche : « Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande. Hâte-toi de t'accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin… » (Mt 5, 23-25).

À la fin de la messe, le diacre Boris partage un repas avec des musulmans, et les encourage à tenir bon.


 

 

Voilà une première traduction de l'amour des ennemis : protéger les familles menacées, de quelque bord qu'elles soient. Ne pas confondre légitime défense et anéantissement du clan de l'autre.

Pourquoi agir ainsi ? Pas seulement pour obéir au Christ ; ou plutôt en lui obéissant pour préparer l'après conflit, où il faudra bien se parler à nouveau. Pour sauvegarder la possibilité de manger ensemble, d'habiter ensemble après. Car si les familles des combattants ont été massacrées, humiliées, comment reconstruire un avenir commun ? Quand on sait ce que font les soldats aux femmes et aux enfants des camps adverses dans toutes les guerres, on mesure combien est révolutionnaire cette protection de la famille de ses ennemis.

La réconciliation après la guerre doit s'anticiper pendant la guerre, pour que l'avenir reste ouvert.

 

Apprendre la langue de son ennemi

 

Lorsqu'il était en prison, Nelson Mandela a voulu apprendre l’afrikaner, la langue de ses ennemis blancs qui l’avaient emprisonné... Impressionnant ! C'est un peu comme vouloir apprendre l'allemand sous l'occupation nazie.

Pourquoi a-t-il voulu le faire ? Pour pouvoir leur parler au coeur. « Vous savez, quand vous parlez afrikaner, vous les touchez droit au coeur ».

C'est réellement impressionnant. Ce n'est pas par calcul pour mieux les affaiblir que Mandela veut apprendre la langue de ses geôliers, mais pour ouvrir avec eux un dialogue qui les touche au plus profond. C'est donc qu'il savait voir le coeur de ses ennemis au-delà de leur uniforme ou de leur position pro-apartheid. C'est donc qu'il traduisait l'amour des ennemis par ce désir de toucher l'autre au coeur.

 

Sommes-nous prêts à apprendre la langue de nos adversaires ? C'est-à-dire à découvrir leur culture, leur vision du monde, leur génie propre ?

Sommes-nous prêts à parler à leur coeur au lieu de renverser la tyrannie par la force ? Osons-nous faire ce pari d’écouter ce qu'ils portent de plus profond en eux  (et qu'ils ignorent peut-être eux-mêmes) pour y faire appel ?


 

 

On peut encore décliner ce commandement si paradoxal du Christ en plusieurs attitudes à portée de main de chacun de nous.

 

Ne pas vouloir haïr.

Même si nous avons des reproches légitimes à faire, nous n'avons pas besoin de nous laisser gagner par le désir de vouloir du mal.

Le mal gagnerait deux fois : la première quand notre ennemi est submergé par la violence, la deuxième quand la violence nous dominerait à notre tour.

Ne pas vouloir haïr est le premier pas pour aimer son ennemi.

 

« Prier pour ceux qui nous persécutent » (cf. Lc 6,28)

C'est la version positive du refus de la haine : bénir ceux qui nous maudissent et nous diffament, vouloir du bien à ceux qui nous font du mal, intercéder auprès de Dieu pour qu'ils vivent. Nous ne savons pas ce qui est bon pour eux, et nous n'avons pas forcément à nous y impliquer ; mais nous pouvons confier à Dieu leur devenir et souhaiter le meilleur pour eux.

 

À travers ces quelques attitudes, les chrétiens ne manifestent aucune complicité avec le mal. Ils le dénoncent avec vigueur, mais ne confondent jamais une personne avec les actes qu'elle commet. C'est le mal qu'il faut combattre, pas celui qui l'accomplit. Cette distinction est capitale. Sans elle, le Christ n'aurait jamais dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,33). Il savait discerner combien ses bourreaux étaient aveuglés sur la réalité de leurs actes. Sans les excuser, il manifestait qu'ils valent infiniment plus que les clous qu’ils enfoncent  dans sa chair et la dérision dont ils l'enveloppent.

 

 

Regardez avec lucidité ceux qui sont vos adversaires : au travail, dans la famille, dans vos relations.

Demandez à Dieu dans la prière la grâce d'aimer vos ennemis, non pas d'une manière sentimentale en attendant que votre coeur batte pour eux, mais en vous engageant résolument dans la volonté de ne pas haïr, de prier pour eux, de protéger ceux qu'ils aiment, tout en dénonçant et combattant le mal commis, jusqu'à la grâce ultime du pardon...

Car il faudra une réconciliation nationale, et il faudra que chrétiens et musulmans réapprennent à vivre ensemble en Centrafrique.

 

 

1ère lecture : Tu aimeras ton prochain, car je suis saint (Lv 19, 1-2.17-18)

Lecture du livre des Lévites

Le Seigneur adressa la parole à Moïse : 
« Parle à toute l'assemblée des fils d'Israël ; tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. 

Tu n'auras aucune pensée de haine contre ton frère. Mais tu n'hésiteras pas à réprimander ton compagnon, et ainsi tu ne partageras pas son péché.

Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 
Je suis le Seigneur ! »

 

Psaume : 102, 1-2, 3-4; 8.10, 12-13

R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.

Bénis le Seigneur, ô mon âme, 
bénis son nom très saint, tout mon être ! 
Bénis le Seigneur, ô mon âme, 
n'oublie aucun de ses bienfaits ! 

Car il pardonne toutes tes offenses 
et te guérit de toute maladie ; 
il réclame ta vie à la tombe 
et te couronne d'amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié, 
lent à la colère et plein d'amour ; 
il n'agit pas envers nous selon nos fautes, 
ne nous rend pas selon nos offenses. 

Aussi loin qu'est l'orient de l'occident, 
il met loin de nous nos péchés ; 
comme la tendresse du père pour ses fils, 
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

 

2ème lecture : La sagesse véritable : appartenir tous ensemble au Christ (1 Co 3, 16-33)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
n'oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous.

Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira ; car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c'est vous.

Que personne ne s'y trompe : si quelqu'un parmi vous pense être un sage à la manière d'ici-bas, qu'il devienne fou pour devenir sage.

Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. L'Écriture le dit : C'est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté.

Elle dit encore : Le Seigneur connaît les raisonnements des sages : ce n'est que du vent !

Ainsi, il ne faut pas mettre son orgueil en des hommes dont on se réclame. Car tout vous appartient, Paul et Apollos et Pierre, le monde et la vie et la mort, le présent et l'avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

 

Evangile : Sermon sur la montagne. Aimez vos ennemis, soyez parfaits comme votre Père céleste (Mt 5, 38-48)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Celui qui garde la parole du Christ connaît l'amour de Dieu dans sa perfection. Alléluia. (cf. 1 Jn 2, 5)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Vous avez appris qu'il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. 

Et si quelqu'un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. Donne à qui te demande ; ne te détourne pas de celui qui veut t'emprunter. 

Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Patrick BRAUD 

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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 00:01
Donne-moi la sagesse, assise auprès de toi

 

Homélie du 7° dimanche du temps ordinaire / Année A
16/02/2014

 

 

Connaissez-vous le jugement de Salomon ? (1R 3, 16-28)


 

On présente au roi Salomon un nouveau-né dont deux femmes se disputent la maternité, car elles ont accouché en même temps et l'un des deux bébés est mort-né. À l'époque, on ne mettait pas un bracelet aussitôt après l'accouchement aux nourrissons, et il n’y avait pas de test génétique pour dépister la vraie mère ! Que faire en un cas pareil ? La loi ne permet pas de décider, les prophètes non plus. Salomon, dans sa grande sagesse, a recours à un stratagème. Puisque la loi demande l'égalité, il demande d’amener l'enfant, de le couper en deux et de donner une moitié à chacune des deux femmes qui revendiquent d'être sa mère. Évidemment, sa vraie mère préfère renoncer à son droit pour que l'enfant vive, alors que l'autre se satisfera de ce compromis légal. Ce qui permet à Salomon de rendre justice en manifestant qui est vraiment la mère de cet enfant.

Voilà comment le roi Salomon est entré dans l'histoire comme la figure de la sagesse par excellence.

 

Le Christ s'inscrit dans cette lignée, car « il y a en lui bien plus que Salomon » (Lc 11,31).

Qu'est-ce qui a permis en effet au Christ d'accomplir la Loi et les prophètes (selon l'évangile de ce dimanche Mt 5, 17-37) ? Et nous, qu'est-ce qui va nous permettre d'articuler le droit de la loi et la justice de prophètes dans notre société française ?

 

Si on laisse le droit et la justice en face à face, les contradictions deviennent vite inextricables (summum ius, summa injuria disaient nos anciens). Car ce qui est juste est bien souvent contraire aux lois actuelles, et le droit oblige les prophètes à ne pas rêver d'un monde irréel (cf. « on n’est pas dans le monde des Bisounours ! »).

 

Le Christ est venu « accomplir et non pas abolir » (Mt 5,17).

La Loi et les prophètes ne suffisent pas pour accomplir la Loi et les prophètes, pour lever les contradictions entre éthique de responsabilité et éthique de conviction. Il faut un troisième terme, qui permettra d'aller de l'un à l'autre. Appelez cela dialectique hégélienne ou structure trinitaire, peu importe : l'essentiel est de retrouver la sagesse comme le troisième terme, le chemin d'humanisation du droit autrement trop dur, le chemin d'incarnation du sens prophétique autrement trop virtuel.

 

Quelle est donc cette sagesse ?

Les Grecs l'ont recherché pendant des siècles, et leur amour de la sagesse (philo-sophia) a forgé des fondements philosophiques puissants à la civilisation occidentale. Les juifs lui ont consacré plusieurs livres de la Bible (les Kettoubim = autres Écrits, dont notamment notre livre de Ben Sirac de ce dimanche), l'ont formalisée à travers le Talmud, cette Torah orale sans laquelle la Loi - la Torah écrite - est invivable.


 

Les chrétiens ont bénéficié de ce double héritage : ils ont baptisé la philosophie grecque et accompli la sagesse juive en Christ, suivant en cela la voie indiquée par Paul dans la deuxième lecture : « Dieu, par l'Esprit, a révélé cette sagesse. Car l'Esprit voit le fond de toutes choses » (1Co 2,10).

 

C'est donc une vision spirituelle du monde qui nous permettra d'articuler la Loi et les prophètes. Sans l'Esprit, la lettre de la loi tue. Les intégrismes religieux de tous bords continuent hélas à en faire la démonstration : si les textes religieux sont pris au pied de la lettre, dans une lecture fondamentaliste qui exclut toute interprétation spirituelle, alors le Coran comme la Bible conduiront à des guerres sans fin, à des dominations injustes, à des régimes inhumains.

Sans l'Esprit, la justice des prophètes n'est qu'une incantation, une parole en l'air. Car l'Esprit est celui qui unit la parole et la chair : la sagesse spirituelle est l'art du discernement qui situe l'appel prophétique ici et maintenant, qui l’incarne selon ce qui est possible effectivement actuellement.

 

Voilà donc les trois piliers de l'art de vivre biblique : la loi, les prophètes, la sagesse.

Pas seulement l'un ou l'autre, ni même les deux. Il faut les trois pour vivre ensemble. Or parmi les trois, il semble bien que ce soit la sagesse qui soit devenue la grande inconnue pour nos contemporains. La faute peut-être à l'enseignement de la philosophie : peu d'élèves de Terminale ressortent du lycée avec une soif de chercher la sagesse… La faute également à la perte du sens proprement spirituel de l'existence : lorsque l'Europe vit de plus en plus comme si Dieu n'existait pas, la vie se réduit alors à un horizon matériel très limité. S'il n'y a que nos années sur terre comme seul horizon d'action, la poursuite de l'intérêt immédiat prend le dessus. Le droit se durcit en défense des égoïsmes, les appels des prophètes deviennent violemment révolutionnaires.

La sagesse est d'introduire une vision venue d'ailleurs dans notre réalité, pour la transformer à l'image de ce qu'elle est appelée à devenir. « Ce que personne n'avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l'homme n'avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » (1Co 2,6-10).

Concrètement, le Christ se révèle maître de sagesse en interprétant la loi juive de manière radicalement nouvelle en Mt 5.

« Tu ne tueras pas » ne se limite pas au meurtre physique, mais s’étend à la violence verbale ou mentale de l'insulte, de la malédiction, de la colère.

« Tu ne commettras pas d'adultère » va plus loin que la seule tromperie physique, car il y a tant de façons d'être infidèle à son conjoint (même le travail ou le football peuvent y contribuer...).

Impossible de se croire à l'abri parce que on respecte la lettre de la loi : l'esprit de la loi nous demande d'aller beaucoup plus loin. Impossible également de mépriser la loi au nom d'un amour prophétique : « pas un iota de la loi ne disparaîtra », avertit Jésus, et cela concerne donc l'interdit du meurtre ou de l'adultère qui reste fondateur.

 

Aspirer à la sagesse pour articuler la loi et les prophètes est donc la prière la plus importante de celui qui veut être responsable de son action.

C'est la prière du roi Salomon : « Donne-moi la sagesse assise près de toi » (Sg 9,4).  Il aurait pu demander la richesse ou la puissance, la gloire ou la santé, il a préféré demander la sagesse pour savoir comment gouverner son peuple. Et le célèbre épisode du jugement de Salomon où un enfant a failli être coupé en deux manifeste que cette sagesse accomplit la loi en lui évitant de devenir mécanique, automatique, impersonnelle. En même temps, cette sagesse oblige le sens prophétique à trouver les moyens de défendre les plus faibles, non pas de manière violente, mais avec habileté et intelligence.

 

Aspirez à la sagesse !

Celle de Salomon, de Ben Sirac, de Jésus, de Paul, qui accomplit sans abolir celle des Grecs, des philosophes des Lumières, des meilleurs de nos penseurs actuels.

Pour gouverner votre famille, votre métier, vos réseaux amicaux et associatifs, la loi et les prophètes ne suffisent pas : sans la sagesse qui vient de l'Esprit de Dieu, vous serez vite ballottés d'un extrême à un autre.

« Car l'Esprit voit le fond de toutes choses... ».

 

 

 

1ère lecture : « Tu peux observer les commandements » (Si 15, 15-20)

Lecture du livre de Ben Sirac le Sage

Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle.

Le Seigneur a mis devant toi l'eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères.

La vie et la mort sont proposées aux hommes, l'une ou l'autre leur est donnée selon leur choix.

Car la sagesse du Seigneur est grande, il est tout-puissant et il voit tout.

Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes.

Il n'a commandé à personne d'être impie, il n'a permis à personne de pécher.

 

Psaume : 118, 1-2, 4-5, 17-18, 33-34

R/ Heureux qui règle ses pas sur la parole de Dieu.

Heureux les hommes intègres dans leurs voies 
qui marchent suivant la loi du Seigneur ! 
Heureux ceux qui gardent ses exigences, 
ils le cherchent de tout cœur ! 

Toi, tu promulgues des préceptes 
à observer entièrement. 
Puissent mes voies s'affermir 
à observer tes commandements ! 

Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j'observerai ta parole.
Ouvre mes yeux,
que je contemple les merveilles de ta loi.

Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ;
à les garder, j'aurai ma récompense.
Montre-moi comment garder ta loi,
que je l'observe de tout cœur.

 

2ème lecture : La sagesse de Dieu est ingorée du monde (1 Co 2, 6-10)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, 
c'est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi, mais ce n'est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent.

Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire.

Aucun de ceux qui dominent ce monde ne l'a connue, car, s'ils l'avaient connue, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.

Mais ce que nous proclamons, c'est, comme dit l'Écriture : ce que personne n'avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l'homme n'avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu.

Et c'est à nous que Dieu, par l'Esprit, a révélé cette sagesse. Car l'Esprit voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu.

 

Evangile : Sermon sur la montagne. Surpasser la justice des scribes et des pharisiens (Mt 5, 17-37)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. La loi du Seigneur est joie pour le cœur, lumière pour les yeux. Alléluia. (cf. Ps 18, 9)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : 
« Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu'à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu'un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu'un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu'un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.  Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n'en sortiras pas avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou.


Vous avez appris qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur. Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne s'en aille pas dans la géhenne.

Il a été dit encore : Si quelqu'un renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de répudiation. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d'union illégitime, la pousse à l'adultère ; et si quelqu'un épouse une femme renvoyée, il est adultère. 

 

Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t'acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi. Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Quand vous dites 'oui', que ce soit un 'oui', quand vous dites 'non', que ce soit un 'non'. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »
Patrick Braud

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8 février 2014 6 08 /02 /février /2014 00:01
On n'est pas dans le monde des Bisounours !

 

Homélie du 5° dimanche du temps ordinaire/ Année A
09/02/2014

 

Cette remarque, vous l'entendrez très souvent en entreprise si vous essayez de vous référer explicitement ou non à l'éthique judéo-chrétienne. Si vous dites avec notre première lecture d’Isaïe (Is 58, 7-10) : « partage avec celui qui a faim », on vous rétorquera qu'à terme cela fera deux affamés au lieu d'un seul. Si vous appelez à faire disparaître du monde du travail « le joug, le geste de menace, la parole malfaisante » on vous traitera de doux idéaliste, ou de dangereux utopiste. Car décidément, le monde du travail n'est pas celui des Bisounours, répètent à l'envi les soi-disant réalistes.

 

Les Bisounours, vous connaissez ! C'est d'abord cette collection d'ours en peluche pour les enfants, leur construisant un univers sucré et gentil tout plein. Une famille d'adorables oursons qui vivent tout là-haut, au pays des arc-en-ciel et des nuages douillets, dans un royaume merveilleux : le Jardin des Bisous.

Une série télévisée a donné vie aux héros Bisounours, dont les noms sont tout un programme : Grosbisou (Tenderheart Bear), Groschéri (Love-A-Lot Bear), Groscopain (Friend Bear), Grosdodo (Bedtime Bear), Grosfarceur ou Gailourson (Cheer Bear), Grosgâteau (Birthday Bear), Grosjojo (Funshine Bear), Grostaquin (Wish Bear), Grosveinard (Good Luck Bear) etc.

 

Pourtant, même dans ce monde des Bisounours, le mal existe. Les personnages nommés Sans Coeur, le professeur Coeur de Pierre, Tante Igèle, la Bestiole en sont la preuve. Et l’enfant sait bien que son environnement n'est pas aussi paisible que celui des Bisounours. Mais justement, ils sont là pour l'aider à ne pas réduire le monde à sa violence apparente, à faire exister la possibilité d'autres règles où les relations ne s'alignent pas sur la compétition, l'agressivité, l'intérêt égoïste.

 

Regardez l'action sociale des prophètes comme Isaïe, Amos ou Jean-Baptiste. Relisez les exigences des psaumes sur la défense de la veuve, l'orphelin et de l'étranger. Repartez de l’appel de la Genèse : « croissez et multipliez-vous » (Gn 1,28) et vous constaterez que les Bisounours bibliques sont sans doute les vrais réalistes.

S’ils appellent au partage, c'est parce qu'ils savent que la création de richesses est le premier devoir reçu du Dieu créateur.

S’ils appellent à la justice, c'est parce qu'ils savent qu'elle existe lorsqu'elle est voulue pour elle-même, pas pour légitimer les intérêts des puissants.

S'ils appellent à la défense des plus faibles, c'est parce qu'ils ont expérimenté dans l'histoire d'Israël que le sort fait aux plus petits conditionne la réussite de tout le peuple.

 

L'histoire de l'Église a donné aux baptisés de prolonger cette sagesse économique et politique. Cette sagesse se cristallise dans ce que l'on appelle la doctrine sociale de l'Église. Cette doctrine-là ne rêve pas d'un monde de Bisounours : elle prend l'économie telle qu'elle est - pleine d'aspirations contradictoires - pour l'orienter vers sa vocation ultime : une économie de communion, une manière d'être dans l'échange mutuel, dans des liens d'interdépendance qui respectent la dignité de toute personne humaine, et d'abord des plus pauvres.

 

L'événement incroyable de la chute du mur de Berlin en 1989 a couronné l'effort de Jean-Paul II, et de l'Église catholique avec lui, pour lutter contre le mal sans employer ses armes. Rien d'irréaliste à appeler au pardon et au partage face à la violence communiste de l'époque. C'est au contraire parce que à l'Est des catholiques (et des protestants) ont tenu bon dans les principes de l’éthique biblique (le droit, la justice, la miséricorde, le respect de tout homme) qu'ils ont pu avec le syndicat Solidarnosc et les manifestations est-allemandes renverser un pouvoir inique qui durait depuis 70 ans.

 

Voilà peut-être le « sel de la terre » dont parle Jésus dans l’évangile de ce Dimanche (Mt 5,13-16) : oser imaginer un monde différent, un monde réconcilié quand on ne vous parle que de rivalités ; travailler à donner une place aux exclus du système ; pardonner alors que c'est impossible ; croire que l'homme est fondamentalement à l'image de Dieu avant d'être pécheur et de manière plus décisive.

 

Cela a des conséquences dans les relations professionnelles.

 

Un auteur célèbre, Mac Gregor, a formalisé la vision de l'homme qu'ont les entrepreneurs en deux théories.

La première – qu’il appelle la théorie X - la plus répandue, affirme que l'homme est mauvais, paresseux, et recherche son intérêt. Il faut donc instaurer une culture du contrôle (du badgage aux autorisations et reportings en tout genre), la carotte (rémunération individuelle) et le bâton (la sanction lors de l'évaluation individuelle) pour le motiver.


 

La plupart des « chefs » pratiquent ce type de management, où l'on ne fait pas confiance a priori, où l'on pense d'abord aux tire-au-flanc, où on encadre pour éviter les débordements (c'est justement le rôle du « cadre »). Ce sont eux qui vous assènent un cinglant : « on est pas dans le monde des Bisounours ! » pour vous clouer le bec et vous empêcher de bercer les masses de dangereuses illusions.

 

Mac Gregor se fait le champion de la théorie alternative – qu’il appelle la théorie Y - qui affirme que l'homme n'est pas fondamentalement mauvais, qu'il aspire au contraire au bien, à la coopération, au service des autres. Un management Y traduira cela par une confiance a priori envers les salariés, par la mise en place de l'autocontrôle (par chacun, par l'équipe) au lieu du contrôle hiérarchique, par la libération de la créativité de chacun et de sa capacité à innover. Comme disait Kennedy : « entourez les hommes de barrières et vous aurez des moutons ». La confiance a priori n'a rien de Bisounours. L'appel à servir au lieu de dominer rejoint le plus profond du coeur de chacun (cf. la notion de servant leader). Les entreprises qui ont mis en pratique cette vision de l'homme sont tout aussi efficaces - et même davantage ! - que les entreprises de la théorie X.


Isaac Getz, professeur à l'ESCP, a mené une enquête célèbre auprès de ses entreprises dites « libérées », parce qu'elle font sauter les entraves à l'autonomie, la responsabilité, l'innovation des collaborateurs. Son livre : « Liberté & compagnie » a rendu visible un mouvement qui se propage tout doucement en France.

 

Comme quoi les chrétiens n'ont pas à rougir de leurs prophètes et de leurs exigences sociales !

Entraînez-vous donc à paraphraser Isaïe pour garder courage dans la transformation de votre environnement professionnel :

 

« Si tu fais disparaître de ton entreprise la domination, le geste de menace, la parole malfaisante, si tu fais attention aux plus petits parmi les collaborateurs, ton témoignage portera du fruit, ton obscurité sera comme la lumière de midi… »

 

 

 

 

 

1ère lecture : Celui qui donne aux malheureux est une lumière(Is 58, 7-10)

Lecture du livre d'Isaïe

Partager ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable.

Alors ta lumière jaillira comme l'aurore, et tes forces reviendront rapidement. Ta justice marchera devant toi, et la gloire du Seigneur t'accompagnera.

Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de ton pays le joug, le geste de menace, la parole malfaisante, si tu donnes de bon cœur à celui qui a faim, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi.

 

Psaume : Ps 111, 1a.4, 5a.6, 7-8a, 9

R/ Dans la nuit de ce monde, brille la lumière du juste.

Heureux qui craint le Seigneur !
Lumière des cœurs droits, il s'est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.

L'homme de bien a pitié, il partage ;
cet homme jamais ne tombera ;
toujours on fera mémoire du juste.

Il ne craint pas l'annonce d'un malheur :
le cœur ferme, il s'appuie sur le Seigneur.
Son cœur est confiant, il ne craint pas.

À pleines mains, il donne au pauvre ;
à jamais se maintiendra sa justice,
sa puissance grandira, et sa gloire !

 

2ème lecture : En guise de sagesse, Paul annonce un Messie crucifié (1 Co 2, 1-5)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage humain ou de la sagesse.

Parmi vous, je n'ai rien voulu connaître d'autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié.

Et c'est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant, que je suis arrivé chez vous.

Mon langage, ma proclamation de l'Évangile, n'avaient rien à voir avec le langage d'une sagesse qui veut convaincre ; mais c'est l'Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

 

Evangile : Sermon sur la montagne. Le sel de la terre et la lumière du monde (Mt 5, 13-16)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Lumière du monde, Jésus Christ, celui qui marche à ta suite aura la lumière de la vie. Alléluia. (cf. Jn 8, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel ? Il n'est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent.


Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.

Et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.

De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »
Patrick Braud

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1 février 2014 6 01 /02 /février /2014 00:01
S’endormir en paix

 

 

Homélie pour la fête de la Chandeleur / Année A
02/02/2014

 

 

 

Les Français sont les champions du monde - hélas ! - pour la consommation de somnifères, psychotropes et autres antidépresseurs. On dit qu'un Français sur trois souffre de troubles du sommeil. Certains veulent de la musique douce et du noir complet ; d’autres du silence et une petite lumière… Interrogez vos relations et vous serez surpris du nombre de gens qui sont confrontés à ce problème, des rituels et innombrables trucs de grand-mère que beaucoup adoptent pour essayer de s'endormir : de la tisane à l'autohypnose, du bouquin au Stilnox, la venue du sommeil se fait attendre pour tant de gens qui se tournent et se retournent dans leur lit jusqu'au point où la fatigue sera enfin la plus forte...

 

 

Tout est à complies

 

Les chrétiens aussi ont un truc à eux le soir tombé. Des centaines de milliers de personnes le mettent en action une fois leur journée terminée. Les prêtres, religieux, religieuses, moines et moniales, et laïcs consacrés le font par choix de vie ; d'autres s'y associent après l'avoir expérimenté avec eux : c'est l'office de complies, le dernier office du jour (du latin completa [hora] = heure qui complète [le jour]).

Très court (cinq minutes environ), il est le dernier souffle remis à Dieu avant que le sommeil ou la mort - car ils sont semblables - n'envahisse tout.

Dans cet office de complies, le cantique de Syméon de notre évangile de la présentation de Jésus au Temple revient invariablement, soir après soir :

« maintenant, ô maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix selon ta parole,

car mes yeux ont vu le salut que tu prépares la face des peuples,

lumière qui se révèle aux nations

et gloire d'Israël ton peuple ». (Lc 2,29-32)

 

À travers les mots du vieillard de Jérusalem est ainsi répété chaque soir depuis 2000 ans un acte de confiance et d'offrande. Les visages rencontrés ce jour, les actions entreprises - réussies, incertaines ou stériles – m’ont permis d'entrevoir le salut que Dieu dispense à ceux qui savent le reconnaître.

Ouvrir les yeux sur la grâce reçue permet de les fermer en paix pour accueillir la nuit.

Célébrer la lumière qui guide les nations (le plus souvent sans qu'elles le sachent) permet de se laisser aller dans le sommeil du justifié.

Chanter la gloire d'Israël en terre d'exil, c'est entrer dans le repos de la nuit comme le pèlerin en Terre sainte.

 

À complies, nous lisons, murmurons, chantons ou psalmodions que « tout est accompli » (Jn 19,30) : depuis la résurrection du Christ, la lumière terrasse les ténèbres, si bien que la nuit sert d'écrin à la révélation du jour. Et même si la nuit ne finissait pas, c'est-à-dire si la mort nous emportait ensommeillé, l'émerveillement de Syméon devant l'enfant présenté au Temple serait notre monnaie de passage pour l'autre rive...

 

On retrouve d'ailleurs le laisser-aller évangélique qui fait écho au laisser-faire de Jean-Baptiste. S’endorment en paix ceux qui se laissent aller, parce que la reconnaissance de l'action de Dieu dans leur vie les a libérés de toute volonté de réussir par eux-mêmes. Laisser Dieu agir est la passivité-active caractéristique des croyants. Alors arrive le vrai repos, le repos en Dieu, qui vient du renoncement à l'illusion d'être la source d'un salut quelconque, l'illusion de faire ou d'être par soi-même.

« Dieu comble son bien-aimé quand il dort », dit le psaume (Ps 127,2), après avoir dissipé l’illusion d’être quelque chose par soi-même : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain ; si le Seigneur ne garde la ville, c'est en vain que veillent les gardes. En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur ».

 

 

S’en aller en paix

 

C'est bien cela s’endormir en paix : accepter d'être comblé par Dieu au lieu de le faire par soi-même.

 

Jour après jour, le salut de Dieu passe par les rencontres, les visages, les cadeaux reçus des autres, les erreurs et les fautes mêmes, relus le soir comme autant de cailloux semés sur le chemin du retour vers l'union à Dieu.

 

Fêter la Chandeleur, c'est célébrer cette lumière invaincue qu’aucune obscurité ne pourra faire disparaître.

 

Alors, s'en aller en paix prend la figure de l'endormissement - ou de la mort peu importe - qui permet au serviteur de ne plus faire qu'un avec celui qu’il sert. L'Esprit assouplit en nous ce qui était trop raide, relâche ce qui était trop tendu, défait ce qui était noué, et nous donne de nous abandonner à celui qui nous aime.

Dormir du sommeil du juste n'est pas le résultat d'exercices de bien-être personnel, d'huiles essentielles, de décoctions savantes ou de comprimés puissants. C'est tout simplement se laisser justifier par Dieu en lui rendant grâce, en lui rendant sa grâce accomplie chaque jour, en reconnaissant le salut qu’il ne cesse de prodiguer à ceux qui le désirent et acceptent de le recevoir.

 

Reprenez donc ce cantique de Syméon avant de vous coucher : moins d'une minute d'action de grâces pour une nuit de repos.

Laissez faire la puissance de la louange qui apprivoisera l'obscurité pour vous.

Quelles que soient les épreuves du moment - et Dieu connaît vos épreuves - quelles que soient les grandes joies qui vous agitent - et Dieu les connaît également - laissez-vous aller dans la paix promise à ceux qui font confiance.

« Maintenant, ô maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur s'en aller

en paix selon ta parole... »

 

 

 


1ère lecture : Le Seigneur vient dans son temple pour nous purifier (Ml 3, 1-4)

Lecture du livre de Malachie

Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j'envoie mon Messager pour qu'il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l'Alliance que vous désirez, le voici qui vient, dit le Seigneur de l'univers.

Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu'il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs.
Il s'installera pour fondre et purifier. Il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l'or et l'argent : ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l'offrande en toute justice.
Alors, l'offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur, comme il en fut aux jours anciens, dans les années d'autrefois.

 

Psaume : Ps 24, 7.8.9.10

R/ Gloire au Messie de Dieu, gloire à l'envoyé du Seigneur.

Portes, levez vos frontons,
élevez-vous, portes éternelles :
qu'il entre, le roi de gloire !

Qui est ce roi de gloire ?
C'est le Seigneur, le fort, le vaillant,
le Seigneur, le vaillant des combats.

Portes, levez vos frontons,
levez-les, portes éternelles :
qu'il entre, le roi de gloire !

Qui donc est ce roi de gloire ?
C'est le Seigneur, Dieu de l'univers ;
c'est lui, le roi de gloire.

 

2ème lecture : Le prêtre en tout semblable à nous (He 2, 14-18)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Puisque les hommes ont tous une nature de chair et de sang, Jésus a voulu partager cette condition humaine : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l'impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le démon,  et il a rendu libres ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d'esclaves.

Car ceux qu'il vient aider, ce ne sont pas les anges, ce sont les fils d'Abraham.

Il lui fallait donc devenir en tout semblable à ses frères, pour être, dans leurs relations avec Dieu, un grand prêtre miséricordieux et digne de confiance, capable d'enlever les péchés du peuple.

Ayant souffert jusqu'au bout l'épreuve de sa Passion, il peut porter secours à ceux qui subissent l'épreuve.

 

Evangile : La présentation de Jésus Christ au Temple (Lc 2, 22-40 [lecture brève: 2, 22-32])

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Voici la lumière qui éclaire les nations !
Voici la gloire d'Israël !
Alléluia. (cf. Lc 2, 32)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

[Quand arriva le jour fixé par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur.
Ils venaient aussi présenter en offrande le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.
Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C'était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d'Israël, et l'Esprit Saint était sur lui. L'Esprit lui avait révélé qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Messie du Seigneur. Poussé par l'Esprit, Syméon vint au Temple. Les parents y entraient avec l'enfant Jésus pour accomplir les rites de la Loi qui le concernaient.
Syméon prit l'enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant :
« Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s'en aller dans la paix, selon ta parole. 
Car mes yeux ont vu ton salut,
que tu as préparé à la face de tous les peuples :
lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d'Israël ton peuple. »]
Le père et la mère de l'enfant s'étonnaient de ce qu'on disait de lui. 
Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Vois, ton fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division. — Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. — Ainsi seront dévoilées les pensées secrètes d'un grand nombre. » 

Il y avait là une femme qui était prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser.
Demeurée veuve après sept ans de mariage, elle avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s'éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. S'approchant d'eux à ce moment, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

Lorsqu'ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L'enfant grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick Braud

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Published by L'homélie du dimanche

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